Ballade irlandaise
Il y avait un taxi mauve, il y a aussi une camionnette verte. D’un vert que Peugeot ne doit écouler qu’en Irlande sûrement. En descendent un chien à trois pattes et son maître, Anthony Hopkins en personne. Un sosie d’Hannibal L. notre hôte, l’air bourru, mais surtout quelqu’un que nous découvrirons très sympathique.
Il nous conduit au seul mini-parcours réservé à la mouche, après dix-huit heures, deux pools à l’embouchure : Sea pool
Les saumons ? Ils sont bien dans la rivière, cette petite dizaine de kms de la mer au lac mais le niveau du cours d’eau ne cesse de baisser et les poissons restent dans les pools, d’une indifférence totale envers nos mouches. Les lanceurs de grosses cuillères à jupe, les promeneurs de crevettes roses sous de gros bouchons rouges, les lanceurs de grappes de vers ne réussissent pas mieux semble-t-il, même si « on » annonce la prise d’un 14 livres « quelque part ». De quoi entretenir l’espoir peut-être. Parfois Salar se montre, un saut bruyant au milieu d’un pool, d’autant plus impressionnant que la rivière est étroite, entre 10 et 20 m d’eau tourbée au courant lent.
Un Irlandais vient déposer dans l’herbe derrière moi une grande épuisette , jugeant sûrement la mienne dérisoire. Le geste est à la fois fort sympathique et ironique mais il permet d’engager la conversation. Ironique, car j’apprends que les deux poissons que je vise (oui Didier tu le voyais gros et moi petit mais il y en a bien deux là) stationnent depuis quatre jours ici, et que les chacun au village vient régulièrement passer quelques minutes pour tenter sa chance en vain. C’est la même chose dans plein d’autres beats de la rivière au point que les arpenteurs du sentier de planches qui en longe le cours savent tout de chaque poisson qui s’est arrêté là.
Alors nous rabattons sur les truites, petites mais vives comme tout, aux points rouges très marqués, à la belle robe jaune brun. Des poissons très intéressés par les nymphes qu’ils ne doivent pas voir souvent, et assez aisément capturables en sèche aussi…
Le grand intérêt du coin, c’est la présence du lough Melvin, dont la rivière Drowes est le déversoir. Un lac peuplé de quatre souches de truites différentes : brown, gillaroo, sonaghan et ferox
. Mais pour réussir depuis la barque, sur les lacs, il faut du vent, une petite pluie ne gâte rien, un guide qui s’y entende. Notre Johnny le viking (acteur-figurant dans la série) connait le Melvin comme les cals de ses mains, mais sans vent, sans pluie, sans éclosion de mouches de Mai, sa science et sa patience ne suffisent pas. C’est sous le ciel bleu d’un fin Mai irlandaise que nous attraperons nos premiers… coups de soleil. Nous lançons, animons nos plumeaux jaunes et quelques violentes attaques nous offrent des poissons costauds et des décrochages tonitruants. Le 20 centièmes minimum est de rigueur et pourtant les poissons pris n’atteignent pas les 40 cm.
C’est le dernier matin au moment de partir que nous verrons enfin le ciel se charger de lourds nuages noirs…
Il y a la pêche bien sûr, mais l’Irlande c’est une ambiance unique, des paysages naturels admirables. Des soirées à passer au pub, les musiciens qui entament les morceaux demandés par le vieux monsieur comme par la jeune fille et ses amis. Il y a la passion devant un match de football gaélique qu’un écran diffuse, la trogne des buveurs de Guinness vissés à leur tabouret.
Futur pêcheur d’Irlande, nous te souhaitons le mauvais temps, la brume qui s’effiloche au son de l’Irish wistle et beaucoup, beaucoup de mouches de Mai à la surface d’un lough aux eaux sombres.
texte de Cerou.