Détournement
Je préparais la machine pour finir de couper l’herbe sur le haut du talus. En contrebas le ruisseau murmurait à peine. De mémoire d’Ancien, il n’avait jamais été aussi bas. C’est à ce moment que je vis arriver un petit groupe, prêt à s’engager sur le chemin forestier qui suit le torrent. Un pêcheur, canne au toc, panier, et deux dames accompagnatrices, qui avaient entendu parler de la fraîcheur bienfaitrice des lieux. On discute un peu, j’émets l’avis que, avec ces eaux basses et ce vent froid, la pêche va plutôt s’appeler promenade. « De toutes façons, depuis trois jours qu’on est là, je n’ai vu aucun des poissons que je connais bien dans la gourgue sous la maison, alors que jusqu’au début d’août je les observais régulièrement » Stricte vérité : le ruisseau paraissait bien vide, et j’avais renoncé même à lancer la moindre mouche au vu d’autres eaux sinistrées ailleurs dans la montagne.
Mais ces dames encensaient leur champion, qui l’an dernier à cette époque avait fait de belles pêches dans d’autres ruisseaux de la région, et que d’ailleurs c’est pour cela qu’ils revenaient cette année ! Ils ne connaissaient pas ce cours d’eau ni ce coin précis, justement… Alors je me transformai en hôte de syndicat d’initiative, vantai les chemins balisés qui permettent de monter (oh, pas très loin!) jusqu’au village abandonné où la forêt pousse à travers les toits désormais. J’évoquai la collection de cartes postales anciennes qu’ils allaient trouver dans la bergerie réhabilitée qui permettent de se rendre compte que tout cet environnement de bois épais n’était que cultures entre les deux guerres et un peu après… Je vantai le petit chemin discret qu’ils allaient pouvoir prendre au retour, ou, peut-être ils auraient la chance de croiser quelque biche ou chevreuil, ou frissonner en entendant la fuite d’un sanglier juste sous les falaises… chemin qui les ramènerait ici même à la maison.
Ces dames sont enthousiastes mais monsieur fait valoir qu’avec le matériel de pêche, faire ce tour-là… qu’à cela ne tienne, je me propose de le lui garder ici, sous l’appentis, « Je suis dans le pré, je surveillerai votre canne et le panier, pas d’souci ! »
Et bien, ils ont fait la balade, sont revenus au moment où j’en terminais de mon fauchage, m’ont tous trois remercié pour les indications.
Quelques instants plus tard je suis descendu au ruisseau me rafraîchir un peu, me suis approché de la gourgue tout doucement au cas où… mes cinq habitantes fantasques se sont enfuies à tire-nageoires : elles étaient là, et bien là, les coquines !