Quel contraste…
Nous quittons, Christian et moi, la canicule parisienne, son soleil omniprésent, intense pour un ciel plombé, des terres neigeuses où les lacs sont encore pris par les glaces. La température à l’arrivée à Mourmansk ne doit pas dépasser les un petit degré et une neige fondue nous accueille dans cette nuit blafarde: il est deux heures du matin.
Il faut presque quarante-huit heures pour parvenir au bord de la rivière et pourtant c’est toujours l’Europe…La route disparue, place à la piste puis à plus grand chose de carrossable après la traversée de la Varzuga. Nous changeons de véhicule au gré de la disparition de l’asphalte;
A l’arrivée, l’état de la rivière confirme nos craintes…Les eaux sont fortes, affichent deux petits degrés au thermomètre et ne vont faire que croître au fil des journées suivantes… La neige résiduelle fond sous le soleil revenu.
Ces conditions sont défavorables, peu attractives pour les saumons frais. Quant aux poissons présents, ceux montés à l’automne dernier, les “osenkas”, ils sont peu enclins à mordre ou à se déplacer pour venir cueillir la mouche.
Place à l’artillerie lourde; canne à deux mains, soie à longue plointe plongeante rapide et mouches lestées et colorées.
Les niveaux en hausse continue nous condamnent à ne pouvoir pêcher que de très rares postes pendant notre première semaine. Des bordures plus lentes, des cuvettes où le poisson peut stationner.
Sans aucun recul le plus souvent, le dos dans les saules, il me faut rouler la soie pour tenter des dérives où la mouche passera à la bonne hauteur.
Nous allons ainsi prendre des “ravalés” , des kelts. Certains sont très amaigris, d’autres beaucoup moins offrant une défense des plus honorables, prenant de la soie obstinément et faisant chanter les freins des moulins.
les saumons osenkas qui n’ont pas encore frayé nous gratifient de quelques sauts.
Les kelts sont tous des femelles de saumon atlantique redescendant vers la mer, les mâles disparaissant presque tous.
La deuxième semaine, l’eau se réchauffe et surtout commence à décroître nous permettant d’étendre notre domaine de pêche. Les saumons frais commencent à se montrer. Christian est très en verve et j’ai la joie de saisir la caudale de beaux poissons.
Nous pêchons aussi à la limite du sel et du doux , dans l’estuaire de la rivière suivant les marées. Les postes sont très courus, les locaux pratiquant soit à l’ondulante, soit à la bombette avec des tube flies…
Difficile parfois de rester concentré; je lorgnais les oiseaux nicheurs de l île voisine, les mâles des chevaliers combattants, collet gonflé, bec pointé se poursuivant sans cesse…
Il faut lancer inlassablement et parfois la touche survient comme une libération tant attendue…
Nous quittâmes à regret la rivière… Le beau temps installé, des eaux proches des 8 degrés et des frais de plus en plus nombreux…et la gentillesse de nos hôtes et l’ambiance toujours excellente malgré les aléas de cette pêche si particulière, si prenante.
Une addiction puissante qui nous fera revenir sûrement.
Non pas trop tôt. Plutôt des conditions anormales, dignes de la mi-mai.
Nos deux semaines sont d’habitude très favorables. Personne ne pēcha après nous et ce dut être très bon.
C’est la pêche du saumon, des migrateurs comme tu connais.
Moi aussi. Ici M. Sterne offre de manière très intéressée un petit cadeau à une Belle qui stationne sur un rocher. Mais elle va laisser tomber l’offrande… Lui, pragmatique, va reprendre le poissonnet et l’offrir à une autre… (Tiens ça me rappelle l’histoire des boucles d’oreilles que …bzz…bzzz…)
Les premiers saumons frais arrivaient à l’estuaire, peu nombreux semblait-il. Le fleuve grondait, les flots furieux rejoignaient l’eau salée dans un grand tumulte.
Ma soie à pointe plongeante et ma technique rudimentaire m’avaient fait perdre un nombre impressionant de mouches, je n’avais souvent pas même le temps d’apprécier les différences entre telle ou telle tube-fly élaborée que je l’avais perdue. Différences infimes de teintes, de grammage, longueur et rigidité de poils ou de plumes, ou que sais-je encore…
Pêcheur rustaud, rustique et approximatif, je me suis dit que j’allais appliquer au « roi » des poissons le même traitement que celui réservé aux bons gros blancs qui patouillent dans nos eaux tiédasses.
Alors j’ai pêché sous les yeux ahuris de notre accompagnateur avec l’une de mes mouches-bouton. Christophe était bien le seul à y croire un peu, qui ne cessait de répéter que le grand Duborgel affirmait qu’un saumon frais monté était capable d’avaler une montre. N’ayant plus de montre depuis onze mois, j’optais pour la « Cérou-button-pink », la couleur étant la seule concession que je fis à notre hôte qui prône l’utilisation des tons les plus voyants.
Le dernier soir, nous décidâmes de pêcher jusqu’à l’épuisement, mais Compère s’effraya de voir voler au ras de ses oreilles le petit rond de plastique et, déclarant qu’il n’avait pas envie de se ramasser ce truc dans la g… , il décida de monter un peu plus haut. J’essayai bien de le retenir en lui faisant remarquer qu’il avait depuis longtemps passé l’âge de se retrouver avec le visage couvert de boutons rose-vif, il s’éloigna tout de même. Que n’es-tu resté l’ami ! peut-être qu’alors…
Oui, alors que Christophe venait à peine de partir vers le pool juste en amont, le bouton accrocha un grand poisson. La soie filait et remontait le courant puissant, deux sauts me permirent d’apercevoir le grand fuseau d’argent. La bagarre dura un bon quart d’heure, j’avais toutes les peines du monde à me servir du vieil Hardy centenaire que nous avions fixé tant bien que mal sur la 14 pieds. Ah ! Cette manivelle à droite ! Ah ! Ces raccords boucle dans boucle ! Le poisson était déjà venu par deux fois tout près du bord et puis, j’avais déjà pris au même endroit le premier poisson frais de la saison avec l’autre canne et son moulinet-sans-frein-ou-presque… Hélas celui-ci se décrocha au moment où il semblait rendu, dans un dernier sursaut d’une rare violence. Je me retrouvai pantois, tremblant, un bouton dérisoire dans la main. J’en suis resté là, ce devait être mon dernier coup de ligne : c’était tout bonnement impossible pour moi de continuer à pêcher. J’ai laissé Christophe finir le séjour dans la nuit trompeuse et bien sûr je n’ai pas trouvé le sommeil tout de suite ce soir là.
Je rends ici un hommage à un gobnaute qui m’enchanta il y a quelques années sur le site, avec ses photos de captures ahurissantes de truites, de grandes carpes et de barbeaux sur toutes sortes de bidules, guirlandes, boutons et autres fantaisies. Il fut très décrié ici, soupçonné d’affabulation. Eh bien je me déclare moi aussi pêcheur approximatif de poissons naïfs à l’aide de mouches inexactes et je n’attends qu’une chose : pouvoir bientôt passer d’autres boutons sous le nez de salmo, et pourquoi pas, qui sait, une fermeture-Eclair !